
Demande d’asile d’un déserteur russe
Magomedrasul I., un jeune Russe hostile à la guerre, avait refusé de répondre à deux convocations militaires et réclamé l’asile à la France. Tout en rejetant sa demande, la Cour national du droit d’asile (CNDA) ouvre la porte aux autres déserteurs russes, arguant que chaque ressortissant mobilisé en Ukraine est « susceptible de commettre, directement ou indirectement, des crimes de guerre ».
La France sera-t-elle une terre d’accueil pour déserteurs russes ? C’est un message contrasté qui ressort d’une décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), ce jeudi 20 juillet. Elle refuse un statut de réfugié politique à Magomedrasul I., un Russe de 27 ans, tout en ouvrant la porte à d’autres déserteurs. Originaire du Daghestan, une république à majorité musulmane du Caucase, le jeune homme avait effectué une demande d’asile à la France après avoir fait la sourde oreille à deux convocations militaires reçues dans le cadre de la mobilisation partielle ordonnée par Vladimir Poutine, en septembre 2022.
Mais selon la Cour, Magomedrasul I. n’a pas su prouver qu’il avait bel et bien été appelé à combattre en Ukraine. Dans un communiqué, la CNDA estime que « les déclarations et les pièces produites ne permettaient pas d’établir que [Magomedrasul I.] avait été mobilisé dans le contexte de la guerre conduite par la Fédération de Russie contre l’Ukraine ». Elle constate que « le requérant avait été exempté du service militaire en 2013 et qu’il avait fui son pays en 2019 en invoquant des craintes familiales et religieuses ».
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Magomedrasul I. raconte avoir quitté la Russie pour fuir son père qui le battait, en avril 2019, des années avant que les premiers missiles russes ne tombent sur Kiev, en février 2022. Suivant un trajet mystérieux, le Russe aurait ensuite cheminé à travers l’Europe jusqu’à franchir la frontière française, le 17 décembre 2019. S’il a regimbé par la suite à rejoindre le front ukrainien, c’est par peur d’être transformé en « chair à canon », selon son avocat, maître Sylvain Saligari. Originaire d’une « famille modeste », membre d’une « minorité vulnérable » et doté d’un faible niveau d’éducation, le jeune Russe n’avait aucun moyen de s’opposer à cette mise sur le pied de guerre, plaide son avocat. Devant les autorités françaises, il s’était abrité derrière le « motif de conscience ». Il disait ne pas souhaiter être associé aux crimes de guerre russes, tout en s’opposant politiquement à l’invasion de l’Ukraine. « S’il avait été enrôlé dans l’armée russe, il aurait été complice de ces crimes de guerre », tempête son défenseur.
Recrutement forcé
L’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) avait d’abord rejeté une première demande d’asile de Magomedrasul I. Celui-ci a formulé un recours devant la CNDA. L’Ofpra a alors soulevé de nombreux doutes sur « l’authenticité des convocations » qu’il avait présentées devant le juge administratif, celles-ci présentant des « inexactitudes ». Elle excluait aussi qu’il serait exposé à des « persécutions » s’il regagnait la Russie.
Mais le rejet de sa demande ne douche pas les espoirs des autres déserteurs de trouver refuge en France. Si Magomedrasul I. ne remplissait pas les conditions, « les Russes ayant refusé de participer à la guerre en Ukraine peuvent obtenir le statut de réfugié », détaille la Cour. Pour la première fois, elle conclut à « l’existence de crimes de guerre » perpétrés par la Russie et fait valoir que chaque ressortissant russe appelé est donc « susceptible de commettre, directement ou indirectement, de crimes de guerre ».
Cette décision devrait faire jurisprudence : elle a été rendue par neuf juges réunis en « grande formation » le 29 juin dernier, dans le but de dégager une doctrine à leur sujet. « Il appartient […] au demandeur de fournir l’ensemble des éléments pertinents permettant d’établir qu’il est effectivement soumis à une obligation militaire dans le cadre de la mobilisation partielle ou d’un recrutement forcé », précise toutefois la Cour. Avant Magomedrasul I., d’autres déserteurs russes avaient vu leur demande retoquée par la CNDA. Soit parce qu’ils manquaient d’expérience militaire et ne risquaient donc pas d’être mobilisés, soit parce qu’ils ne démontrait pas suffisamment qu’ils étaient opposés à la guerre.
Quel sort attend maintenant le jeune Russe de 27 ans ? Le reconduire aux portes de la Fédération de Russie l’exposerait aux traitements réservés aux fuyards : ils sont généralement jugés, emprisonnés, enfermés dans des camps, renvoyés de force sur le front, ou pire. « Il craint surtout de se faire torturer. Des exécutions ont également été signalées », s’alarme maître Saligari. Vu l’appui militaire de la France à l’Ukraine, « ne pas ouvrir la porte à des Russes qui refusent de combattre ou se désolidarisent du régime ne paraît pas très cohérent politiquement », plaide-t-il encore.

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Mr.PiT

